Interview - Baudoin

Installé sur un fauteuil de cuir dans la salle d'interview réservée pour l'occasion, le journaliste attendait le Combattant qu'on surnommait « Le Clochard » en se demandant s'il n'avait pas forcé sur le confort. Après tout, il avait plutôt l'habitude de la rue... peut-être aurait-il préféré de simples chaises ?

– Bonsoir.

Le journaliste sursauta. L'homme qui venait d'entrer ne ressemblait en rien à ce à quoi il s'attendait.
Grand, baraqué, il portait un costume trois pièces tiré à quatre épingles et de splendides boucles argentées tombaient en cascade derrière ses épaules.

– Bonsoir ! s'exclama-t-il en se levant d'un bon, v-vous êtes « Le Clochard » ?

– Non. Je suis « Le Proxénète », Tancrède, mais je suis tout à fait apte à répondre aux questions que vous avez préparé pour mon collègue.

– Ah. Il n'a pas pu venir ?

– Nos raisons ne vous regardent pas, je le crains. Pouvons-nous commencer ?

– B-bien sûr, installez-vous !

À présent, les fauteuils de cuir lui paraissait bien miteux pour un homme qui fréquentait visiblement plutôt les milieux cossus. Le Combattant s'installa sans rien dire et le journaliste ne put qu'admirer la faculté visible de s'adapter à n'importe quel environnement.

Piqué de curiosité, il ne put s'empêcher de demander :

– Vous travaillez donc dans le milieu de...

– Mon cas n'est le sujet de ma présence ici. Posez vos questions sur mon collègue, je vous prie.

Le regard doré perçant du Combattant fit taire immédiatement les dérives du journaliste qui subissait la forte autorité naturelle de son invité.

– B-bien, alors... pouvez-vous nous dire le nom de votre collègue ? Son vrai nom, je veux dire. « Le Clochard » étant son surnom de Combattant !

Il était nerveux. L'homme face à lui dégageait tant de force et de prestance... il n'avait aucun mal à deviner l'importance que cela devait avoir dans sa couverture.

– Il se nomme Baudoin.

– C'est bien le premier membre de votre... trio, est-ce exact ?

– En effet. Baudoin a longtemps œuvré seul avant que Stanislas, puis moi-même, le rejoignent.

– Qu'est-ce qu'il aime le plus dans son métier ?

L'homme se caressa un instant le menton en signe de réflexion avant de répondre :

– Je dirais le fait d'aider les gens, évidemment. Constater que notre travail porte ses fruits est toujours inestimable. Mais le connaissant, je crois qu'il adore ces moment où il doit se dévoiler, révéler qu'il n'a rien d'un sans-abri sans défense...
Rien n'est jamais tout noir ou tout blanc... bien qu'il nous arrive plus que de raison de côtoyer ce qui s'en rapproche dangereusement, tous ceux que nous combattons sont humains malgré tout. Alors chacun ses techniques pour tenter d'empêcher autrui de commettre des actes irréparables. La sienne est sa spécialité : effrayer et prendre du plaisir à lire l'effroi sur le visage d'un adversaire et le soulagement sur celui de la victime. Oui, voilà la réponse qui convient le mieux, je le pense.

– M-merci ! Du coup, vous l'avez rappelé, il est constamment ou presque sous couverture. Quelles genre de qualités ça demande, ce genre d'infiltration ?

– Des capacités d'adaptation. De résistance. Beaucoup d'humilité et d'observation aussi. Et puis évidemment toutes les qualités qui font un bon Combattant. Force, agilité, résistance, réactivité etc.

– Intéressant ! Et y a-t-il quelqu'un qui partage son cœur et son lit ?

– Non. Baudoin est un solitaire acharné complètement dévoué à son travail. Il n'est pas fait pour la vie de couple... ni même la vie sexuelle d'ailleurs.

– O-oh.

Le journaliste rougit, avant d'orienter rapidement la discussion vers un terrain plus léger :

– Sucré ou salé ?

– Sucré.

– A-t-il une arme de prédilection ?

– Il se bat généralement à main nue et a développé une habileté particulière à manier les objets contondants, comme vous pouviez vous en douter, j'imagine.

– Ou-oui c'est vrai ! Été, printemps, automne ou hiver ?

– Hiver, je pense. Baudoin n'est pas quelqu'un de frileux et il est toujours plus facile de faire bouger les consciences sur le sort des sans-abris lorsqu'il fait froid.

– Quel est son animal préféré ?

– Le chien.

– Et...

Au même moment, un bruit de pas se fit entendre et la porte de la salle s'ouvrit sur un jeune homme en tenue légère. Un escort-boy habitué des lieux. Le journaliste songea qu'il aurait dû fermer la porte à clé.

– Damian, tu peux revenir plus tard s'il te plaît ? Je suis avec un invité...

Le dénommé Damian leva un sourcil surpris.

– Y'a personne d'autre que toi dans cette salle...

Le journaliste se tourna brusquement vers le fauteuil face à lui... il était vide.

– Q...

Dehors, Tancrède leva les yeux vers la salle d'interview qu'il venait de quitter sans se faire remarquer.

« Désolée d'avoir écourté notre rencontre, monsieur le journaliste, mais personne ne doit me voir... et encore moins l'un de mes escort-boy. » murmura-t-il pour lui-même.

Il sourit, avant de disparaître dans la nuit.

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